Malgré l’explosion des ventes en GMS (+387% sur les pâtes, +142% sur la farine, +141% sur les steaks surgelés, +84% sur les sardines, etc.), la filière est robuste. Les rayons vides ont pu être réapprovisionnés en 24 heures. Quant aux enjeux sanitaires, les industriels de l’agro-alimentaire n’ont pas été pris au dépourvu. Depuis des décennies, ils emploient au quotidien des masques, des charlottes pour les cheveux, du gel hydroalcoolique … À la différence d’autres industriels, ils n’ont donc pas eu besoin de s’adapter.
De manière générale, ce sont tous les processus de production et de transformation qui sont perturbés. Le taux d’absentéisme dans les industries agro-alimentaires, dû à la fermeture des écoles et aux cas de maladie, s’élève à environ 10% (étude ANIA, 24 mars) et pénalise la production. Cet absentéisme risque de perdurer à moyen terme compte tenu de la progressivité de la reprise des écoles, des risques de contamination des salariés ou des absences par prudence en cas de symptômes, notamment cet automne.
De plus, 40% des entreprises rencontrent des difficultés d’approvisionnement, notamment en termes d’emballages.
Enfin, les industriels font face à une augmentation des coûts liés au traitement de la crise : augmentation des coûts logistiques (+6%) et des coûts de la matière première (+3%), difficultés à trouver des livreurs, mesures de protection (achat de masques, gels, etc.), hausse des salaires pour le travail de nuit et en week-end dans certaines industries. Pour l’instant, les prix n’ont pas ou peu augmenté. Les industriels de l’alimentation supportent ces hausses de coûts importantes, « entre 3 et 16% » selon l’ANIA, qui réduisent fortement les marges et la rentabilité. Mais le contrecoup se fera après la levée progressive du confinement, lorsque les hausses seront répercutées sur les prix des produits.
En fonction des catégories de produits, les situations sont très différentes. Des secteurs sont en tension, liée à l’augmentation de la demande en magasin. Ainsi, Fleury-Michon a dû recruter 115 personnes pour répondre à la hausse des commandes de charcuterie (+30%) ou pour le surimi (+20%). Les industriels des pâtes prévoient, eux, une augmentation majeure de leurs ventes, comme Panzani qui l’estime de l’ordre de 5 à 10% sur l’année 2020. Dans ce contexte, les industriels ont adapté leurs offres et leurs processus pour fluidifier la production :
- Raccourcissement des gammes, priorisation, pour se concentrer sur les marchés de gros volumes comme dans la filière laitière : lait UHT, crème, beurre, fromages emballés, ratés, etc. ;
- Évolution de l’organisation du travail, comme chez Panzani, pour pouvoir travailler 7/24 couplé au passage 135 références à 29 pour gagner du temps : chaque changement de format, pour passer des pennes aux macaronis par exemple, fait perdre plusieurs heures de production.
À l’opposé de ces filières saturées, des secteurs industriels font face à une crise de demande majeure. Boréal, société bretonne spécialisée dans les sauces, a perdu 70% de son activité avec la fermeture de la RHD. Social, troisième coopérative laitière européenne, note, elle, une baisse de 25 à 80% des commandes selon les fromages AOP depuis le début du confinement. Les ventes de produits festifs tels que les champagnes ont reculé de 35%.
Certains effets de la crise sur des catégories sont conjoncturels (exemples : surstockage, explosion du fait maison), mais on peut aussi remarquer que la crise sanitaire a un effet de catalyseur des tendances déjà initiées ces dernières années (développement du bio, de la consommation locale, mise en avant des produits sains, respectueux de l’environnement).
Avec cette accélération, toutes les marques vont devoir être encore plus vigilantes aux évolutions des attentes de leurs consommateurs. La plupart des panellistes sont d’ailleurs particulièrement actifs depuis la mi-mars. En écho à cette évolution attendue de l’offre, les dispositifs industriels devront globalement évoluer et les questions d’optimisation logistique (usine et approvisionnement), de gestion de la complexité du portefeuille de produits et de marques, de lourdeur des modèles opérationnels (agilité, fonctionnement en silos et éclatement des responsabilités, etc.) seront encore plus sur la table des dirigeants.
Enfin, les opportunités de croissance externe existeront et offriront des opportunités aux acteurs réactifs de se diversifier et gagner en résilience.