Les exploitations agricoles, une adaptation réussie mais des faiblesses structurelles mises en évidence

Les producteurs agricoles français rencontrent principalement des difficultés à écouler leurs productions depuis la fermeture des marchés, des restaurants, la diminution de la vente directe et le ralentissement de l’export. Certains secteurs, fortement impacté, développent des initiatives pour rebondir dans ce contexte de crise.

La filière ovine, particulièrement attendue à Pâques, est impacté par l’interdiction des rassemblements familiaux. Industriels, distributeurs et artisans bouchers ont immédiatement réagi et adapté leur offre avec des conditionnements et des morceaux plus petits comme la selle, la souris ou des gigots raccourcis. Nous aurions aussi pu citer les producteurs d’asperges, mais aussi de pommes de terre et de certaines volailles comme le canard, les cailles, les pigeons, etc. Les impacts sur ces filières sont jugés conjoncturels et devraient se dissiper une fois le déconfinement passé.

Pour ces filières, la réouverture partielle des marchés, autorisée sous conditions depuis le 12 avril, permettra de soutenir les exploitations agricoles. En effet, 5% des agriculteurs vendent plus de trois quarts de leurs produits sur les marchés, et n’ont ni les volumes ni l’organisation pour les proposer à la grande distribution.

Deux exemples ont retenu notre attention et illustrent des filières en souffrance depuis de nombreuses années et pour lesquelles la crise ne fait qu’exacerber les faiblesses structurelles.

La filière viticole, déjà en difficulté avant la crise dans certaines régions, voit ses exportations fortement ralenties. L’événementiel et le tourisme sont en berne, la restaurant hors domicile est à l’arrêt et la grande distribution française, si elle achète encore, ne comble pas les pertes. Les syndicats en appellent désormais aux pouvoirs publics nationaux et européens pour aider financièrement et distiller 10% de la production annuelle pour permettre les prochaines vendanges.

De même, la filière laitière est aussi fortement impactée. Partout dans le monde, des éleveurs doivent se résoudre à jeter leur lait. Le cours du lait en Europe est en chute dans un contexte de pic de production du printemps et de baisse de la consommation. Pour la filière, une aide au stockage du lait excédentaire a été refusée par l’European Milk Board pour éviter une crise d’offre durable comme en 2015-2016. L’État n’a pas eu d’autres alternatives que d’indemniser les producteurs (320€ pour 1000 litres) pour une baisse de production entre 2 et 5% en avril.

L’ensemble des acteurs de la filière céréalière française se sont, quant à eux, mobilisés pour que les agriculteurs puissent continuer à produire. L’ensemble des chaînes logistiques à été mis à contribution, notamment la SNCF & RFF ayant réussi à maintenir 80% du transport ferroviaire. Les ports aussi continuent à fonctionner, comme celui de Bordeaux. Tout ceci permet de répondre à la demande des marchés, notamment les exportations de blé français dopées actuellement par la demande. En dépit du confinement, la filière céréalière reste en bonne santé.

En parallèle de ces difficultés de débouchés pour les productions agricoles, le manque de main-d’oeuvre pour les récoltes printanières s’est fait sentir dès le début du confinement. Dans les champs, pour les récoltes notamment de fraises et d’asperges, il y avait un besoin de 45 000 saisonniers en mars, 75 000 en avril et autant en mai. Au total, 200 000 personnes, dont deux tiers arrivent en temps normal de l’étranger. Le gouvernement a mis en place avec la FNSEA une plateforme « des bras pour ton assiette ». Au vendredi 10 avril, la plateforme comptait 240 000 inscrits, dont 5 000 au travail. Si la mobilisation fut une bonne nouvelle pour l’attractivité de la filière, le bilan après un mois reste mitigé, certains trouvant le travail trop difficile (FNSEA, 11 mai).

Enfin, la pandémie de COVID-19 a révélé la dépendance agricole de la France : plus d’un fruit et légume sur deux que nous consommons est importé. Cette proportion s’établit à 34% pour la viande de volaille et à 25% pour le porc. Si les filières ont tenu pour le moment, le Président de la République l’a rappelé le 12 avril : l’enjeu à moyen terme sera de « rebâtir une indépendance agricole ».

La plupart des filières ont réagi en mobilisant l’ensemble des acteurs, du producteur au consommateur pour garantir des débouchés. Les filières agricoles et alimentaires jouissent d’un regain de confiance auprès des citoyens : la réponse collective au déficit de main-d’oeuvre en est une preuve.

Au travers de cette crise, de nombreux producteurs ont renforcé ou diversifié leurs débouchés, leur permettant d’être demain plus résilients aux prochaines crises.

Les principaux enjeux seront désormais la création d’un avenir aux filières structurellement en tension pour lesquels un équilibre entre viabilité économique, indépendance agricole et impact environnemental devra être trouvé. Gageons que cette crise pourra libérer des approches innovantes permettant d’amorcer une réelle transformation de ces filières intégrant tous les acteurs et en cohérence avec les attentes de la société.